Le 17 mars 2020, le président colombien Ivan Duque décrète l’état d’urgence dans le pays afin de faire face à la pandémie du Coronavirus. Frontières fermées, confinement obligatoire, rues et commerces vidés, … Comme dans beaucoup d’autres pays dans le monde, la Colombie retient son souffle et vit au ralenti. Une situation économique qui plonge de nombreux habitants dans une grande précarité, notamment à cause de l’arrêt forcé du tourisme, qu’il soit national ou international.
Sommaire :
- Le coronavirus en Colombie : état des lieux
- Les mesures de confinement
- La quarantaine : quelles conséquences sur l’économie du pays ?
- Le secteur touristique, l’un des secteurs les plus touchés
- La réponse des autorités colombiennes
Le coronavirus en Colombie : état des lieux
A l’heure où nous écrivons ces lignes (07/05/2020), la Colombie recense 8959 cas d’infectés au coronavirus confirmés depuis le 6 mars dernier, date où l’on a détecté la première personne infectée dans le pays sud-américain. Le bilan en est pour le moment à 397 morts et 2148 patients guéris. Bogota, la capitale de la Colombie, est de loin la plus affectée par le virus, suivie par la Vallée de Cauca, le département Meta, celui d’Antioquia (département de Medellin) ainsi que Bolivar (Cartagena). Pour le moment, 6 régions semblent encore être épargnées par la pandémie (mais doivent quand même se soumettre aux mesures de confinement) : les départements d’Arauca, de Guainía, Guaviare, Putumayo, Vaupés et Vichada.
A en croire cette courbe, le nombre d’infectés au coronavirus semble augmenter de semaine en semaine. Néanmoins, il faut garder un certain recul quant à la situation. En effet, la capacité de testing augmentant peu à peu au fil des jours, il est logique que la courbe de cas nouveaux en fasse de même. Rappelons qu’au début de la crise, la Colombie a connu quelques problèmes techniques concernant les tests. La machine d’extraction d’acide nucléique nécessaire à la réalisation des tests étant endommagée. Réparée depuis, les autorités sanitaires colombiennes entreprennent depuis quelques jours des tests massifs auprès de différents « conglomérats » de Colombie, entendez par là des lieux où seraient rassemblés plusieurs personnes en incapacité de respecter les distances sociales et où l’on aurait eu en amont des indices de contamination. C’est le cas notamment de la prison de Villaviciencio qui s’est avéré être l’un des foyers de contagion les plus importants du pays. Les autorités ambitionnent d’arriver à un total d’1,2 millions de test entre le mois de mai et le mois de juillet.
Les mesures de confinement
C’est la ville de Bogota, la capitale, qui entama la première des mesures de confinement le 20 mars, le temps d’une phase test d’un weekend (avec impossibilité de sortir de Bogota sous peine de ne plus pouvoir y revenir), une phase test qui fut suivie de près par d’autres départements du pays. 5 jours plus tard, toute la Colombie fut officiellement confinée. Depuis le 25 mars en effet, il est interdit de sortir de la maison sauf raison essentielle comme l’achat de nourriture, un rendez-vous médical ou aller à la banque par exemple. De ce fait, tous les rassemblements ont été annulés jusqu’à nouvel ordre, tels que les concerts ou les expositions. Les bars et les discothèques sont fermées et les restaurants sont uniquement autorisés à livrer à domicile. Les écoles et universités sont également fermées, les élèves sont invités à suivre des cours virtuels chez eux. Concernant les vols, tous les vols internationaux et nationaux sont annulés. Seuls les avions de marchandise ou d’aide humanitaire sont autorisés à continuer leur activité. D’abord prévu jusqu’au 26 avril, le confinement obligatoire a été prolongé par les autorités jusqu’au 25 mai, au plus tôt, avec toutefois quelques aménagements comme l’autorisation de sortir pour réaliser des activités physiques pour les adultes entre 18 et 69 ans ou encore l’ouverture prochaine des secteurs de la construction et de la manufacture.
La politique du « pico y cedula » ou « pico y genero »
Tout ça, c’est en théorie. En pratique, la responsabilité repose essentiellement sur les maires de chaque ville. De nombreuses villes colombiennes ont en effet décidé d’appliquer des mesures additionnelles aux mesures nationales. A Bogota par exemple, la maire Claudia Lopez a instauré la politique du « pico y genero », une sorte d’autorisation de sortie par alternance en fonction du genre. Concrètement, les hommes (et les personnes trans et cisgenres) pourront sortir dans la rue les jours impairs et les femmes (et les personnes trans et cisgenres), les jours pairs. D’autres villes comme Medellin, Cali ou encore San Agustin ont mis en place le système du « pico y cedula ». Le principe est le même mais cette fois-ci on va regarder le dernier chiffre de la carte d’identité pour diviser la population. Certaines villes ont également décidé d’instaurer un couvre-feu à la population, généralement en fin d’après-midi jusqu’au petit matin.
La quarantaine : quelles conséquences sur l’économie du pays ?
Les mesures de confinement ont eu de lourdes conséquences sur la santé économique de la Colombie. Du jour au lendemain, ce sont des millions de Colombiens qui ont vu leur activité professionnelle diminuer drastiquement. Si une partie de la population a pu continuer à travailler de la maison, grâce au télé-travail, d’autres n’ont pas eu cette chance.
Selon le Département Administratif National de Statistiques (DANE), le pays a connu durant le mois de mars une augmentation du taux de chômage urbain de 13,4 %, et prévoit une augmentation encore plus forte pour le mois d’avril. Cette inactivité professionnelle mêlée à la chute des prix du pétrole entraînerait, selon le gouvernement colombien, une diminution de 5,5 % du Produit Intérieur Brut (PIB) du pays en 2020, soit la pire chute dans l’histoire de la Colombie. Si cette statistique se vérifie, les autorités craignent un taux de chômage excédant les 18 % cette année, soit près de 1,9 millions de colombiens qui se retrouveraient sans ressource. Précisons en effet que, contrairement aux systèmes que nous connaissons en Europe notamment, les Colombiens ne bénéficient pas d’allocations de chômage en cas de perte d’emploi. La non-activité professionnelle entraîne donc une perte totale des revenus, ce qui plonge certains dans une grande précarité.
L’emploi informel, l’autre aspect de la crise
Si vous avez déjà eu la chance de voyager en Amérique Latine, vous aurez certainement remarqué l’importance des commerces « de rue ». Spécialités locales, gourmandises, jus de fruit, … Les commerces de rue sont partout et nombreux sont les travailleurs à vivre de ces activités, souvent sans aucune protection sociale. Rien qu’en Amérique Latine et Caraïbes, on recense environ 140 millions de personnes travaillant dans ces conditions (chiffres de l’Organisation Internationale du Travail), soit 54 % des travailleurs. Avec près de 60 % de sa population à travailler de manière « informelle », la Colombie ne fait pas exception.
Le secteur touristique, l’un des secteurs les plus touchés
L’interdiction des déplacements non-essentielles a paralysé toute l’activité touristique du pays. Par activité touristique, nous entendons bien sûr les hôtels, les agences et tour opérateur, les sociétés de transports et autres guides mais l’arrêt de tout tourisme national comme international impacte également d’autres secteurs comme les restaurants, les commerces de souvenir par exemple ou les vendeurs de rue. Depuis 2016 et les accords historiques de paix, la Colombie attire d’année en année de plus en plus de touristes. Le tourisme fait clairement partie des stratégies de développement économique du pays mises en place depuis quelques années. Selon le Centre de Réflexion Touristique de Colombie (CPTUR), le secteur touristique a généré en 2017 1,3 millions d’emplois directs, soit 7,8 % du total des emplois dans le pays, sans compter les emplois indirects.
« On se sent complètement abandonné, on est seul … »
La crise sanitaire auquel le monde fait face et les mesures de confinement qui en découlent laissent un secteur touristique totalement dans l’incertitude, en stand-by.
C’est le cas notamment de François Van Malderen, un français qui est venu s’installer en Colombie depuis plus de 20 ans maintenant et qui est propriétaire de l’hôtel La Casa de François, situé au cœur de San Agustin, une région particulièrement prisée depuis quelques années par les amateurs d’histoire et de nature grâce à la présence de l’impressionnant Parc Archéologique. « On voit une grande différence de fréquentation depuis quelques mois déjà. A partir du moment où le parc, la principale source touristique, fut fermé, les gens ont commencé à annuler leur réservation. » nous confie-t-il. Une baisse de fréquentation qui se fait lourdement sentir dans cette région de plus en plus touristique : « Il y a 5 ou 6 ans, il n’y avait qu’une trentaine d’hôtels à peine à San Agustin. Aujourd’hui, on est passé à 75-80 hôtels dans la région, sans compter les Airbnb. Ça représente beaucoup d’hôteliers à l’arrêt, sans oublier tout le personnel que l’on est obligé de continuer à payer car l’état a interdit le licenciement. Ici, le chômage partiel est interdit[1]».
Pour survivre, François Van Malderen et ses collègues hôteliers optent pour le système D et sur la solidarité, même s’ils avouent se sentir complètement démunis : « On est complètement abandonné par l’Etat, on est seul. Quand je vois qu’en France ou ailleurs, on dépense des milliards d’euros pour aider les travailleurs, ici, rien ! A moyen terme, il va se passer quelque chose (…) Heureusement, j’ai la chance de vivre à la campagne. On a de quoi cultiver les terres, se nourrir, et surtout on s’entraide beaucoup. C’est fou de voir que plus les gens n’ont rien, plus ils s’entraident. ». François peut aussi compter sur quelques clients étrangers « bloqués » en Colombie, ou qui ont tout simplement décidé d’effectuer leur quarantaine à San Agustin plutôt que de rentrer au pays.
En attendant, les hôteliers de la région voient l’avenir avec un mélange d’enthousiasme et de crainte : « Je suis sûr que la Colombie a un grand avenir touristique devant elle, mais je me donne deux ans pour cela revienne vraiment. Dans un premier temps, on compte beaucoup sur le tourisme national, on espère que San Agustin va continuer à être prisé par les Colombiens. A nous de faire preuve d’innovation et d’imagination ! » « En tout cas, j’ai foi en les Colombiens, j’adore ces gens, ce peuple. C’est un peule qui sait se débrouiller tout seul sans compter sur personne d’autres. J’y crois toujours … », ajoute-t-il avec émotion.
Le tourisme solidaire stoppé dans son élan
Le tourisme a aussi permis ces dernières années d’aider des milliers de familles autrefois durement touchées par les guérillas. De nombreuses initiatives de tourisme solidaire ont en effet vu le jour, avec pour objectif de bénéficier directement à l’économie des communautés locales. Des projets qui se sont petit à petit développés aux quatre coins de la Colombie et qui ont permis notamment la reconversion de nombreux anciens combattants de groupes armés. Plusieurs communautés indigènes participaient également activement à ce type d’initiative, leur permettant ainsi de subvenir à leur besoins essentiels.
Avec l’arrêt total du tourisme en Colombie, et donc du coup des projets de tourisme solidaire, de nombreuses familles se retrouvent en situation délicate, voire précaire. C’est ce que nous explique Andrés Gutiérrez, coordinateur de l’organisme de tourisme communautaire Geotours del Guaviare : « Nous remarquons bien les conséquences du Covid-19 dans le département. Nous avons beaucoup moins de touristes en ce début d’année qu’avant. … Le plus compliqué à gérer est le manque de liquidité. .. Notre politique est de vendre des services tout inclus, en impliquant les communautés locales. Du coup, la communauté Tukano orientale se voit très affectée par la situation car elle ne peut plus vendre ses services et son artisanat. »
Même crainte du côté de la communauté indigène des Wayuu, dans le désert de la Guajira, qui est déjà en temps normal l’une des populations les plus précaires en Colombie, ayant à peine de quoi subvenir à leur besoin primaire. Depuis la mise en place de la quarantaine et la paralysation du tourisme et des commerces, les habitants crient à l’aide. La situation devient de plus en plus critique.
Carthagène des Indes, devenue ville fantôme
Mais l’une des villes les plus durement touchées par la crise en Colombie est sans conteste la très touristique ville de Carthagène des Indes. Le spectacle est assez inédit. Les rues de la vieille ville de Carthagène des Indes, d’habitude si remplies, sont quasiment désertes. Les restaurants et les bars branchés sont fermés, les vendeurs de rue sont confinés, les musiciens et les danseurs sont restés chez eux. Derrière ces rues désertes, ce sont des milliers d’habitants qui retiennent leur souffle, asphyxiés par des pertes de revenus considérables. En effet, selon la Chambre des Commerces de Cartagena, la crise du Covid-19 a entrainé la suppression de 41.600 emplois directs dans toute la ville. Rien que dans la vieille ville, on compte pas moins de 2000 entreprises comme des bars ou des restaurants qui ont du fermer toute activité. Sans oublier les nombreux habitants qui vivent grâce à des transactions informelles (vente de gourmandise, de pièces artisanales ou encore de bouteilles d’eau aux touristes). Des chiffres phénoménaux mais pas étonnants quand on sait que rien qu’entre janvier et décembre 2019, la perle des Caraïbes a attiré pas moins de 530.000 touristes étrangers.
Une situation délicate qui, si elle perdure, pourrait avoir des conséquences dramatiques sur la vie des locaux. La Chambre des Commerces craint que si l’urgence sanitaire se prolonge un mois de plus, près de 86% des commerçants du secteur touristique et gastronomique ne pourront pas maintenir leur entreprise à flot.
Au bord du gouffre, les commerçants de Carthagène des Indes ont envoyé une lettre ouverte au président colombien Ivan Duque, dans laquelle ils demandent le soutien du gouvernement national. Ce soutien se traduirait notamment par la réduction ou l’élimination de l’impôt à la consommation le temps de la crise, ce qui permettrait aux commerçants de proposer des tarifs plus compétitifs. « Sans une prise de décision de la part du Gouvernement National, nous sommes au devant d’une crise sociale de magnitude inimaginable, entraînant une montée de la violence sociale » s’inquiètent les commerçants de Cartagena dans leur lettre.
La réponse des autorités colombiennes
Afin de réduire l’impact économique sur le secteur touristique, le vice-ministre du Tourisme Julian Guerrero a annoncé que toutes les obligations fiscales du premier semestre seraient reportées au second. De même, le paiement de l’IVA (Taxe sur la valeur ajoutée), la taxe foncière et complémentaire que doivent normalement payer les hôtels et les autres prestataires touristiques, seront également reportés. Une annonce qui ne rassure pas forcément les hôteliers, comme en témoigne François Van Malderen, propriétaire de l’hôtel La Casa de François : « Honnêtement, pour moi ça ne change rien, ce sont des impôts que j’avais déjà payés en début d’année donc le fait que l’on m’autorise ou non de payer avec un peu de retard ne change absolument rien pour moi ! ».
De façon plus générale, le président colombien Ivan Duque a également promis la mise en place d’un revenu solidaire (« Ingreso Solidario ») en faveur des ménages en situation de grande pauvreté, qui ne seraient pas déjà bénéficiaires d’autres programmes d’aides du gouvernement. En tout, plus d’1,5 millions de familles recevront en deux fois 240.000 pesos (environ 55 euro). Une déclaration qui reste de nouveau en travers de la gorge de certains professionnels : « Pour moi, c’est juste un coup médiatique pour se donner une bonne image, car ils savent qu’il y a une révolte qui gronde. Donc on médiatise beaucoup les petites actions. Mais dans la réalité, les gens survivent grâce à la solidarité », ajoute François Van Malderen.
Côté industrie, le gouvernement vient également d’annoncer la mise en place d’un subside à hauteur de 40% du salaire minimum en Colombie à tous les travailleurs d’entreprises qui ont vu leur revenu diminuer d’au moins 20% durant la crise. Une façon selon le gouvernement de protéger les emplois et donner un peu d’oxygène aux employeurs. Le président Ivan Duque affirme qu’il annoncera d’autres mesures visant à améliorer les différents secteurs touchés. A voir si cela suffira à renverser la situation et calmer la colère et la détresse des Colombiens.
[1] Pour le moment, il n’y a pas encore de mesures mises en place pour autoriser un licenciement temporaire. Cela pourra se faire uniquement si l’on considère le Coronavirus comme un cas de force majeure, ce qui n’est pas (encore ?) le cas en Colombie.
*Sources :
https://coronavirus.jhu.edu/map.html
https://ingresosolidario.dnp.gov.co/documentos/ETAPAS.pdf
https://www.dane.gov.co/index.php/estadisticas-por-tema/mercado-laboral/empleo-informal-y-seguridad-social
https://www.dinero.com/pais/articulo/que-medidas-se-han-tomado-en-colombia-contra-el-coronavirus/282717
https://www.eltiempo.com/politica/gobierno/coronavirus-en-colombia-medidas-del-gobierno-para-evitar-el-pico-del-covid-19-475032
https://www.larepublica.co/covid-19
https://www.france24.com/es/20200423-colombia-cuarentena-hambre-robos-pandemia-coronavirus
https://www.france24.com/es/20200318-duque-decreta-estado-emergencia-colombia
Cet article sur l’impact économique du Coronavirus en Colombie vous a intéressé ? Vous aussi, vous aimeriez tenter l’expérience et voyager, quand cela sera de nouveau possible, en Colombie ? Contactez-nous. En tant qu’agence locale réceptive, nous vous aiderons à concocter le meilleur séjour possible en Colombie.
454