Cela fait plusieurs mois maintenant que la pandémie du Covid-19 fait rage un peu partout dans le monde, y compris en Colombie. Si la situation préoccupe beaucoup les habitants, notamment pour des raisons sanitaires et économiques, un département semble inquiéter particulièrement les observateurs : l’Amazonie colombienne. Avec une moyenne de 90 infectés pour 10.000 habitants, l’Amazonie enregistre le taux d’infection par habitant le plus élevé du pays, devant Bogota. Manque de moyens médicaux, porosité des frontières, réalité des peuples indigènes peu prise en compte, … Les difficultés sont nombreuses. Zoom sur une catastrophe sanitaire redoutée.
Sommaire :
- Leticia, la capitale de l’Amazonie dans le rouge
- La délicate question des frontières
- Les promesses du gouvernement
Leticia, la capitale de l’Amazonie dans le rouge
Selon les chiffres de l’Institut National de la Santé datant du 11 mai dernier, le département d’Amazonie recense actuellement 718 cas d’infectés au Covid-19, dont 717 rien que dans la capitale : Leticia (l’autre fut recensé à Puerto Narino). Avec un total de 25 morts, la ville de Leticia est pour le moment la quatrième ville de pays comptant le plus de décès. Depuis le premier cas révélé le 17 avril, la situation s’accélère dangereusement. Rien que durant les 7 derniers jours, on observe une augmentation de 200% des cas Covid-19.
La situation est d’autant plus préoccupante que 60 à 70 % des 79 020 habitants d’Amazonie Colombienne appartiennent à une communauté indigène, principalement situés aux abords des frontières péruviennes et brésiliennes. Selon les autorités d’Amazonie, on compterait à la date du 6 mai 2020 déjà 41 indigènes infectés. 6 personnes indigènes seraient quant à elles décédées dans le pays d’après un rapport de l’Organisation National Indigène de Colombie (ONIC) publié le 7 mai dernier. Plusieurs experts tirent la sonnette d’alarme : si on ne fait pas quelque chose rapidement, la population d’Amazonie et en particulier les peuples indigènes, sont en grand danger. En cause, les cruels manques de moyens médicaux à disposition, les difficultés de communication dues à la distance, les rapatriements compliqués et le difficile contrôle des frontières.
Des moyens médicaux en insuffisance
Si la situation est si critique, c’est que beaucoup craignent une rapide saturation au niveau des soins de santé. Et pour cause, selon Le Registro Especial de Prestadores de Servicios de Salud (REPS), le département compterait en ce moment seulement 167 lits d’hôpital et surtout aucune unité de soin intensif et de réanimation. « La grande crainte est que si l’état des patients se dégrade et qu’ils aient besoin d’être intubés, nous n’avons pas d’unité de soins intensifs. Nous avons donc besoin que l’on nous aide à soigner ces patients. » rapporte le médecin Javier Gutiérrez, gérant de la Fundacion Clinica Leticia, au journal El Tiempo.
Le manque de testing est également dénoncé par de nombreux médecins. Sans faire de test, difficile d’évaluer réellement à quel point la population est menacée. En plus du manque flagrant de moyens sanitaires, la ville de Leticia a du faire face à des démissions en chaîne du personnel soignant. Au moins 30 professionnels de la santé de l’hôpital San Rafael de Leticia ont ainsi renoncé à leur travail par crainte du manque de protection (masques, gants, etc.) face aux malades du Covid-19.
Aujourd’hui, l’unique moyen d’offrir des soins intensifs aux malades est de les évacuer en avion jusque Bogota, non sans suivre quelques règles de protocole comme l’approbation de la EPS (Entidad Promotora de Salud), l’autorisation de faire circuler les ambulances aériennes et l’accord de l’unité de soin intensif à Bogota. En tout, la procédure peut durer jusque 3 jours, un délai évidemment trop long pour un patient déjà en état critique. Et encore, nous parlons là d’une évacuation depuis Leticia. Si une personne indigène vivant à l’extrémité du pays, dans une zone uniquement accessible via un trajet en bateau de plusieurs heures, a besoin de soins intensifs, la situation devient vite très compliquée.
Une réalité dramatique qui ne fait que souligner la situation déjà précaire du département avant la crise, comme en témoigne Julio César Lopez, président de l’OPIAC (Organisation Nationale des Peuples Indigènes d’Amazonie Colombienne) au site Mongabay : « Si il n’y avait aucun problème en temps normal au niveau de la santé, il y en aurait pas de problème non plus en temps de pandémie. Ce qu’a fait la pandémie, c’est seulement rendre visible la crise que nous vivons ici en Amazonie au reste du pays ».
Pas de protocole détaillé pour la population indigène
De nombreux observateurs reprochent également au gouvernement de ne pas assez communiquer directement auprès des communautés indigènes. Sur toutes les directives développées pour enrayer la pandémie du Covid-19 par le gouvernement, seuls deux documents se réfèrent à la population indigène. D’autant que les moyens de communication de certaines communautés sont parfois limités avec une connexion internet peu voire pas du tout présente et un réseau téléphonique très instable.
« Les indigènes ont bâti leur propre système de santé, et celui-ci fonctionnait très bien jusqu’à présent, mais cela devient un problème quand on doit faire face à un virus inconnu comme le Coronavirus. » précise Paulo Bacca au site Mongabay, directeur de la Línea de Antidiscriminación Étnico Racial de Dejusticia.
Préoccupés, les leaders indigènes ont demandé au Ministère de la Santé de Colombie de mettre en place, en coordination avec les communautés, un véritable plan sanitaire pour ainsi éviter une propagation massive du virus. Ils demandent, entre autre, l’installation d’hôpitaux de campagne aux alentours de leurs territoires ainsi que l’amélioration des conditions d’hygiène par le biais de masque, de gel hydroalcoolique ou de médicaments complémentaires.
La délicate question des frontières
Bien que les frontières de la Colombie ont été officiellement fermées le 16 mars dernier, il est fort à parier que les passages frontaliers ne s’arrêtent pas pour autant en Amazonie. Pour rappel, le département d’Amazonie est frontalier à la fois avec le Pérou et le Brésil. Les contrôles sont moins stricts en raison de l’accessibilité difficiles des lieux, parfois en pleine forêt. Parfois, comme l’explique le maire de Leticia, les familles se retrouvent à mi-chemin, une moitié de la maison en Colombie, et l’autre au Brésil. Sans oublier les nombreuses relations commerciales entre les différentes villes frontalières. Le commerce fluviale est en effet très important dans ces régions, avec de nombreux échanges entre les frontières, notamment entre la ville brésilienne de Tabatinga et Leticia. « Leticia dépend énormément de ce qui arrivent de Tabatinga. Acheter un kilo de riz transposé depuis Bogota nous coûte 4000 pesos, depuis le Brésil, 2000 pesos » commente au journal El Tiempo le gouverneur indigène Elver Viena, de la communauté Jusy Monilla. De plus, de nombreux colombiens vivent à Tabatinga tout en travaillant à Leticia. Fermer complètement les frontières seraient synonyme pour eux de cessation complète de leur commerce, et, in fine, d’une grande précarité.
Difficile dans ces conditions de maintenir une surveillance totale des frontières terrestres. Cet élément pourrait être l’un des éléments décisifs dans la circulation du virus. En effet, selon l’Institut National de la Santé, on a identifié un cas infecté depuis le Pérou et 8 cas depuis le Brésil. Quand on sait la force de propagation du Covid-19, on ne s’étonne pas du nombre aujourd’hui élevé de cas recensés dans le département. Selon les experts, il faut urgemment mettre au point une stratégie commune entre les trois pays afin de mieux contrôler le déplacement du virus et ainsi améliorer la situation sanitaire du pays. Pour éviter des risques de contamination, le président Duque ordonna le 12 mai dernier la mise en place d’une surveillance militaire aux points frontaliers, particulièrement avec le Brésil. A voir dans le temps quelles seront les conséquences de cette décision, que ce soit en terme de santé mais également économiquement parlant.
Même si pour le moment, le département d’Amazonie est le plus préoccupant, beaucoup craigne que d’autres départements dans des situations comparables voire pire en terme de frontières, d’équipements sanitaires et de présence indigène soient également impactés prochainement, comme les départements de Putumayo, Vaupés ou encore Guania.
Les promesses du gouvernement
De nombreuses voix se sont élevés pour dénoncer l’inactivité du gouvernement concernant le département d’Amazonie, notamment celle du député Camilo Suarez, décédé le 8 mai dans des circonstances qui pourraient laisser penser à une contagion du Covid-19 (même si cela semble avoir été démenti). Peu de temps avant sa mort, le député avait publié un message vidéo directement adressé au président Ivan Duque : « L’Amazonie, c’est la Colombie. Ajourd’hui, nous avons besoin de votre aide et d’actions de plus grande ampleur. Je crois que nous sommes le département où il y a le plus de contagion et nous n’avons pas l’infrastructure nécessaire ni le personnel pour lutter. Nos centres de santé sont complètement abandonnés, le département n’est pas prêt pour aider les communautés indigènes. »
Un message fort qui fut suivi par de nombreuses promesses du gouvernement. Le ministre de la Santé a en effet promis d’envoyer dans le département le matériel suivant : 55.000 masques pour la population locale, 550 masques de haute protection, 1000 masques chirurgicaux, 200 masques de protection faciale, 1000 gants jetables et 182 blouses médicales jetables. Le gouvernement a également signalé qu’il soulèverait d’ici début juin 14 millions de pesos pour améliorer les soins dans les hôpitaux de la région. 17 professionnels de la santé devraient aussi être envoyés sur place, ainsi que du personnel de la Défense Civile.
Parallèlement, la Unidad Nacional para la Gestion del Riesgo de Desastres a annoncé qu’elle ferait parvenir aux peuples situés en zones frontalières 6500 masques, 1500 flacons de gel, 750 paires de gants et 500 savons. Côté communication, la ministre des Technologies de l’Information et des Communications a assuré qu’on installera en Amazonie 4 points de connectivité de façon à améliorer la communication.
Reste à voir si les promesses seront tenues et si l’investissement sera suffisant pour endiguer la pandémie en Amazonie. En ce qui concerne les actions déjà réalisées, le gouvernement a assuré avoir envoyé 3 avions contenant de l’aide humanitaire (dont 18.828 kilos d’aliments et des kits éducatifs), ainsi que 1.644 kilos de matériel de protection (masques, gel, etc) pour l’Hôpital San Rafael de Leticia.
Le président de l’OPIAC Julio César Lopez, quant à lui, déplore des mesures prises unilatéralement, sans aucune concertation avec les communautés indigènes : « Nous savons qu’il faudrait coordonner nos propres connaissances avec la science occidentale, mais ils ne le prennent pas en compte ».
*Source :
https://es.mongabay.com/2020/05/covid-19-en-amazonas-pueblos-indigenas-colombia/
https://www.telesurtv.net/news/colombia-reportan-indigenas-contagiados-covid-20200511-0051.html
https://www.telesurtv.net/news/denuncian-crtica-situacion-pandemia-amazonas-colombia-20200512-0014.html
https://www.eltiempo.com/datos/coronavirus-en-amazonas-cifras-de-contagio-y-muertes-por-covid-19-en-leticia-494374
https://www.eltiempo.com/politica/gobierno/duque-habla-de-medidas-para-mitigar-los-efectos-del-coronavirus-494734
https://www.eltiempo.com/colombia/otras-ciudades/coronavirus-en-leticia-amazonas-drama-de-indigenas-y-numero-de-casos-496418
https://www.las2orillas.co/leticia-en-emergencia-hospitalaria-y-de-hambre/
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