Depuis les accords de paix signés en 2016, la Colombie attire de plus en plus de touristes de part le monde. Au regard de ses paysages naturels exceptionnels, ses villages coloniaux colorés et sa population chaleureuse, on comprend aisément pourquoi … Mais ce fulgurant succès apporte son lot de questions quant aux possibles conséquences sur la population locale. Depuis quelques années, un autre tourisme, un tourisme solidaire et communautaire se développe, parfois dans des zones autrefois sinistrées. Poudre aux yeux ou réel espoir ? On tente de faire le point.
Sommaire
- La Colombie en plein essor touristique
- Le tourisme, vecteur de paix ?
- Le développement du tourisme solidaire
- Le risque du tourisme de masse
- Des régions oubliées qui reprennent des couleurs
- En conclusion …
La Colombie en plein essor touristique
Depuis l’accord de paix historique de 2016 entre le gouvernement colombien et les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC) et le cessez-le-feu avec l’Ejército de Liberación Nacional (ELN) en 2017, le pays reprend des couleurs. Il est aujourd’hui LA destination touristique émergente de l’Amérique latine. Selon le vice-ministère du tourisme, le nombre de visiteurs a triplé en 12 ans, en passant d’un millions de visiteurs étrangers en 2006 à un peu plus de 3 millions en 2018. La Colombie a même été élue meilleure destination d’Amérique du Sud 2019 par les World Travel Awards (WTA). Un succès notamment perceptible auprès des touristes français qui en 2019, étaient 26 % plus nombreux qu’en 2018.
Le tourisme, vecteur de paix ?
Ce nouvel essor touristique est bien sûr une aubaine économique pour les pouvoirs publics et les professionnels du secteur. Et cet élan économique post-accord amène une seconde question : quid de la paix ? Comment le détaillent les auteurs Marie-Laure Guilland and Patrick Naef dans leur ouvrage « Les défis du tourisme face à la construction de la paix en Colombie » : « Aujourd’hui, garantir la paix devient le défi majeur du tourisme. ».
Pour cela, l’Etat a mis en place ces dernières années divers projets et campagnes avec pour objectif de faire basculer certaines zones sinistrées par les conflits dans une dynamique de développement touristique et social grâce notamment au tourisme solidaire. En 2019, le Ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme colombien a par exemple investi 1.760 millions de pesos dans le Programme de Tourisme Communautaire. Quatre régions furent notamment concernées : La Serranía de la Macarena dans le Meta, Putumayo, le chemin de Teyuna (Ciudad Perdida) dans la Sierra Nevada de Santa Marta, et l’Urabá Darién entre Antioquia et le Chocó.
« Le plus grand bénéfice de faire partie de programmes comme celui de « Turismo y Paz » est de dire aux acteurs de la violence que nous voulons travailler et vivre autrement qu’à travers cette violence. En ce moment, le tourisme nous parait comme une juste opposition à la guerre et nous voulons continuer à nous développer à travers lui. »
Traduction de Claudia Montoya, directrice de « A preservar », une association qui rassemble des prestataires touristiques dans la région du Darién Chocoano.
Le développement du tourisme solidaire
Le tourisme solidaire, c’est quoi exactement ?
Selon L’UNAT (Union Nationale des Associations de Tourisme et de plein air), « le tourisme solidaire regroupe les formes de tourisme « alternatif » qui mettent au centre du voyage l’homme et la rencontre et qui s’inscrivent dans une logique de développement des territoires. L’implication des populations locales dans les différentes phases du projet touristique, le respect de la personne, des cultures et de la nature et une répartition plus équitable des ressources générées sont les fondements de ces types de tourisme. »
Le tourisme solidaire influe ainsi positivement sur trois plans distincts : le domaine économique, par le biais du développement des structures locales, le domaine social, par la préservation culturelle et l’échange proposé entre les locaux et les voyageurs et également sur le plan écologique, grâce au choix d’hébergements et de structures soucieuses du respect de l’environnement.
Un tourisme qui a le vent en poupe ! En 2018, l’Organisation Mondiale du Tourisme a révélé que sur les 1,7 milliards de dolars générés par le tourisme, 16.000 millions venaient du tourisme solidaire.
Une alternative aux plantations de coca
L’un des principaux défis aujourd’hui est d’apporter une alternative durable et certaine à la culture de la coca (matière première pour la fabrication de la cocaïne), qui fut pendant longtemps l’une des principales sources de revenus de beaucoup de paysans colombiens. En 2018, plus de 100.000 familles s’étaient engagées à suivre un programme de substitution à la culture illicite de la drogue. C’est ainsi que plusieurs familles paysannes, avec l’appui de l’état et d’associations sur place, ont commencé à développé d’autres activités : certaines ont remplacé la coca par du cacao ou de l’avocat, d’autres se sont tournés vers le tourisme justement.
Si les intentions sont louables, les difficultés pratiques viennent parfois entacher leur réalisation au niveau locale. Le manque d’infrastructure tout d’abord. Les projets de tourisme solidaire souffrent parfois de leur isolement. Les routes ne sont pas toujours adaptées ou très sinueuses, ce qui peut refroidir certaines touristes pourtant intéressés. Les moyens de communication ne sont pas toujours optimaux non plus. A l’heure où tout se passe sur internet, certaines agences locales ne possèdent pas de site en ligne faute de budget. Certaines zones sont même parfois difficilement accessible par téléphone. Sans oublier que tout cela est encore un phénomène nouveau, bon nombre des nouveaux acteurs du tourisme n’ont reçu aucune formation technique adéquate, certains sont eux-même des anciens membres des FARC désireux d’une vie meilleure … Bref, toute une série d’obstacles au quotidien qui entravent la bonne réalisation de ces projets communautaires.
Le risque du tourisme de masse
Devant toutes ces difficultés, certains acteurs vont avoir tendance à céder aux sirènes de tourisme facile, voire indécent. C’est notamment le cas dans certaines zones aujourd’hui très exposées au tourisme, comme Medellin. De nombreux « guides » surfent sur le succès de la série Netflix Narcos en proposant des « narco-tours » ou « Pablo Tours ». Des pratiques contestables moralement quand on sait tout le traumatisme lié aux années « Pablo Escobar » dans la ville mais qui rencontrent pourtant toujours un grand succès auprès des touristes internationaux. Dans un autre style, on peut citer la ville de Cartagena, certainement l’une des villes les plus touristiques du pays, qui voit fleurir depuis quelques années de nombreux « tours » vers les plus belles îles des Caraïbes, incluant parfois un arrêt dans un « aquarium ». Les touristes sont alors invités à observer, toucher, voir nager avec de pauvres requins confinés dans un espace restreint, le tout contre rémunération. Sans parler bien évidemment des activités illégales comme le tourisme sexuel ou le commerce de drogue, mais c’est un autre sujet.
Le parc Tayrona, victime de son succès
Autre exemple frappant, celui du Parc Tayrona, situé au pied des montagnes de la Sierra Nevada. Longtemps rendu inaccessible en raison des conflits armés, le Parc Tayrona a commencé à intéresser de plus en plus de touristes, rassurés par les accords de paix. De nombreux paysans des montagnes avoisinantes ont décidé d’abandonner leur plantations de coca au profit d’une activité touristique. Certains ont fait le choix de devenir guides, d’autres mototaxi, certains se sont mobilisés pour créer leur agence, … En 2017, le Parc Tayrona accueillait près de 400 000 visiteurs, devenant ainsi le deuxième parc le plus visité en Colombie après le Parc National Naturel du Rosaire et de Bernardo. Un succès qui pourrait mettre en péril la nature si exceptionnelle du parc. C’est pourquoi les quatre peuples autochtones cogérant du parc ont décidé de le fermer à trois reprises durant l’année 2020 : du 1er au 28 février, du 1er au 15 juin et du 19 octobre au 2 novembre (#respiratayrona). L’objectif ? Faire respirer un peu la faune et la flore et permettre aux communautés indigènes de pratiquer leurs rites en tout quiétude.
Des régions oubliées qui reprennent des couleurs
Si les difficultés sont bien réelles et que le chemin est encore long, on peut néanmoins saluer les nombreuses initiatives de tourisme solidaire qui fleurissent en Colombie et la métamorphose de certaines régions, autrefois jugées trop dangereuses, qui font petit à petit leur entrée sur la scène touristique.
Parmi ces régions, on peut citer la Sierra de la Macarena, dans le Meta, connue aujourd’hui essentiellement pour le magnifique Cano Cristales mais qui dévoile petit à petit grâce au travail de plusieurs associations d’autres merveilles de la région comme, Lejanías, Mesetas ou encore San Juan de Arama. Autre exemple, la région de Putumayo, en particulier la Vallée de Sibundoy, qui a réussi petit à petit à unifier ses habitants autour d’un projet de tourisme communautaire : l’organisation de tourisme communautaire de Putumayo Tsabaniñe Chaquiñambe. Citons aussi la région de Guaviare, qui fut longtemps l’un des fiefs des troupes paramilitaires armés comme les FARC, et qui aujourd’hui se développe en tant que destination touristique grâce au travail de plusieurs agences locales sur place. Ou alors l’histoire de l’agence Caguan Expeditions, créé en 2017, qui offre aux touristes des expériences de rafting sur le rio Pato, à San Vicente del Caguán dans la région de Caquetá, ainsi que diverses randonnées nature. L’association a permis notamment à plusieurs ex-guerillos FARC de se reconvertir en guide rafting et de pouvoir aujourd’hui vivre du tourisme.
D’autres exemples de projets de tourisme solidaire
Posadasrurales.co : le site internet au renfort du tourisme rural
Conçu il y a un an environ, le site web a pour but de rassembler plusieurs possibilités d’hébergements situés dans les zones rurales de la Colombie. Aujourd’hui, le site compte pas moins de 75 hébergements, et cela risque certainement d’augmenter dans les années à venir. L’objectif est double. D’une part, il offre une nouvelle visibilité à ces logements, qui faute de moyen, peinaient auparavant à se faire connaître. D’autre part, cela permet au voyageur de découvrir des zones en dehors des circuits traditionnels touristiques, loin de l’agitation urbaine.
Ces logements peuvent prendre deux formes, certains sont totalement indépendants des hôtes, dans des cabanons ou fincas privés, d’autres se trouvent directement au domicile familiale, permettant ainsi une immersion totale dans le quotidien d’une famille colombienne rurale.
Au delà de cette visibilité, le site, créé par Fabio Pérez, offre une petite formation touristique afin de leur faciliter le processus. Une jolie initiative qui vaut la peine d’être connue.
El Centro Ecoturistico y Archeologico El Carlos
Créé il y a environ 12 ans, le Centre Ecotouristique et Archéologique El Carlos est à ce jour un des plus beaux succès du tourisme communautaire en Colombie. Situé à Necocli, dans la région d’Antioquia, le centre reçoit chaque mois la visite de 150 à 500 touristes selon la saison. En plus de proposer un hébergement (3 sortes de grandes cabanes, composées chacune de 2 chambres pouvant accueillir jusque 12 personnes), le projet organise divers randonnées pour découvrir les merveilles naturelles de la région ainsi que des activités culturelles afin d’en apprendre un peu plus sur le savoir-faire des habitants. Le centre est cogéré par 11 familles de la région. Même si tout n’est pas parfait (la route menant au centre n’est pas encore pavée, ce qui décourage certaines touristes et les moyens sont encore insuffisants), les membres de la communauté sont positifs, on va dans le bon sens.
Des circuits à la rencontre des « artisans de la paix »
Depuis les accords de 2016, la Colombie voit petit à petit fleurir quelques projets touristiques visant non seulement à inclure directement différents acteurs autrefois mêlés dans les conflits armés et/ou le narcotrafic mais également à offrir aux voyageurs un autre point de vue que celui des tours traditionnels. Certains tours proposent par exemple rencontrer, le temps d’une journée, plusieurs familles impliquées dans le passé dans des activités illicites, comme la culture du coca par exemple. A travers les diverses rencontres et expériences, et grâce aux explications du guide, les touristes pourront avoir une idée un peu plus tangible des conséquences réelles du conflit armé colombien. Une manière de mieux appréhender toute la complexité de l’histoire de la Colombie.
En conclusion …
Le plus important aujourd’hui est de garder en tête que la Colombie est un pays en pleine transition, ce qui apporte son lot d’incertitude, de déception, mais également et surtout d’espoir. Le tourisme international est une chose nouvelle pour bon nombre d’acteurs locaux. Il serait faux de dire que le tourisme a pansé toutes les plaies du conflit armé, certaines régions reculées souffrent encore d’un grand manque d’infrastructure et de moyens pour pouvoir s’investir complètement dans le tourisme et ainsi quitter définitivement leurs activités illicites. Néanmoins, les projets sont là, et se multiplient même. Les choses avancent. En tant qu’agence locale et donc de professionnelle du secteur, nous nous devons de prendre notre part de responsabilité dans ce processus. Notre devoir est de soutenir ces petites agences locales qui, en plus d’œuvrer pour leur communauté, propose aux touristes d’apercevoir une autre Colombie, leur Colombie.
* Sources :
Les défis du tourisme face à la construction de la paix en Colombie. Marie-Laure Guilland and Patrick Naef
El Tiempo – Posadasrurales.co, la web para escaparse al campo colombiano
El Tiempo – Un ‘tour’ para entender por qué la paz valió la pena
El Tiempo – Turismo comunitario, una tendencia que gana futuro
Insight Crime – Aggressive Coca Eradication Threatens Voluntary Substitution Efforts in Colombia
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