Depuis quelques jours, d’étonnantes images capturant des travaux de grande ampleur sur ce qui semble être une zone protégée de la Sierra Nevada de Santa Marta font le tour des médias en Colombie. Les tribus indigènes tirent la sonnette d’alarme : ce type de travaux détruit petit à petit leurs ressources et leur mode de vie. Un nouvel épisode qui vient s’ajouter à un contexte déjà tendu où règne violence, corruption et destruction environnementale au prix du tourisme de masse.
Sommaire :
- La Sierra Nevada De Santa Marta, un joyau naturel
- Des travaux de construction révélés par les Indigènes
- Un climat sous haute tension
- Et après ?
La Sierra Nevada De Santa Marta, un joyau naturel
Située au nord-ouest de la Colombie, entre les départements de Magdalena, La Guajira et Cesar, la chaîne de montagne de la Sierra Nevada de Santa Marta fascine et émerveille les visiteurs. Avec des pics s’élevant jusque 5775 m et ce, à seulement 42 km de la mer des Caraïbes, il s’agit de la chaîne côtière la plus haute du monde. Au cœur de la Sierra se situe la fameuse Ciudad Perdida (Cité Perdue), berceau des indiens Tayronas, devenue l’une des randonnées les plus populaires et les plus exceptionnelles du pays. L’autre bijou de la Sierra Nevada est sans nul doute le Parc Tayrona, admiré chaque année par de nombreux touristes en quête d’émerveillement. Plages paradisiaques, forêts tropicales à perte de vue, des panoramas sur les Caraïbes à couper le souffle, animaux sauvages, … Le Parc s’est imposé au fil des années comme l’une des incontournables étapes pour les visiteurs étrangers. Bref, un trésor culturel et naturel que s’efforcent notamment de préserver les quatre tribus indigènes de la Sierra Nevada de Santa Marta : les Kogis, les Arhuacos, les Kankuamos et les Wiwas.
Des travaux de construction révélés par les Indigènes
Alors que la pandémie du Coronavirus occupe les esprits du plus grand nombre en Colombie, plusieurs tribus indigènes installées au cœur de la Sierra Nevada de Santa Marta alertent l’opinion publique : des travaux d’envergure seraient en cours de réalisation sur au moins 5 lieux jugés sacrés pour les indigènes. Au travers d’un communiqué adressé à différentes autorités dont les Ministres de l’Intérieur et de l’Environnement, l’Organización indígena Gonawindua Tayrona a dénoncé une pratique qui selon elle, est totalement illégale et demande aux autorités des mesures urgentes pour sauver les sites sacrés et les écosystèmes du territoire.
#DenunciaPublica Destruccion Espacio Sagrado Línea Negra Pueblo Kogi SNSM, Requerimos Medidas De Proteccion y Salvaguarda Decreto 1500 @MinInterior @PGN_COL @DefensoriaCol #SalvemoselCorazondelMundo @IvanDuque @AliciaArango @fcarrilloflorez @CIT_indigena @cabildokankuamo @OWYBT pic.twitter.com/I5xf9wCSe8
— Consejo Territorial de Cabildos Indigenas CTC (@ctcsierranevada) May 17, 2020
« Les autorités des peuples indigènes de la Sierra Nevada de Santa Marta expriment leur grande consternation quant à l’ampleur des travaux et de leur incidences sur la fonction de ces sites, tant environnemental que ancestral. » indique le leader indigène José De los Santos Sauna, « A notre connaissance, cette activité est illégale, aucun permis n’a été délivré pour réaliser ces travaux, qui de par leur caractère, sont interdits ». Les communautés aborigènes avertissent également du grand danger que ces constructions peuvent représenter pour la faune animale présente sur les lieux, comme la tortue ou le crocodile.
Avec photos et vidéos à l’appui, les indigènes révèlent notamment d’importants travaux à l’embouchure du Rio Ancho, un site sacré nommé « Jaba Alduweiuman » (Mère de la connaissance et de la nature) et reconnu comme lieu de culte et de cérémonie pour les tribus. Selon certaines sources locales, il s’agirait d’une construction destinée au tourisme de masse. Certains racontent que les travaux auraient débuté dès les premières semaines de février.
La Linea Negra : le cordon sanitaire de la Sierra Nevada de Santa Marta
Si cette annonce fait tant parler, c’est que les constructions dénoncées ont lieu dans un espace protégé par le Décret N° 1500, ratifié le 6 aout 2018. Signé par l’ancien président de la République Juan Manuel Santos, ce traité reconnaît officiellement la « Linea Negra » (Ligne noire) comme aire protégée rassemblant l’ensemble du territoire ancestral des peuples Arhuacos, Kogis, Kankuamos et Wiwas de la Sierra Nevada de Santa Marta ainsi que 358 sites considérés comme sacrés par les communautés. La Linea Negra s’étend jusqu’aux villes de Riohacha, Santa Marta et Valledupar. Elle comprend également trois parcs nationaux : la Sierra Nevada de Santa Marta, le Santuario de fauna et flora los Flamencos et le fameux Parc Tayrona, très populaires auprès des touristes. Selon le décret, tout projet de travaux au sein de la Linea Negra devra au préalable être discuté avec les communautés indigènes et être validé via un permis. Règle qui n’a visiblement pas été respectée au vu des derniers événements.
L’extraction d’or illégale, l’autre bataille des indigènes de la Sierra Nevada
Ce n’est pas la première fois que les leaders indigènes dénoncent certaines pratiques sur leurs terres. Depuis quelques années, plusieurs plaintes ont été adressées concernant des extractions d’or illégales, notamment dans la juridiction de la municipalité de Dibulla. Selon un rapport des Naciones Unidas contra las drogas y el delito (UNODC), de la Embajada de los Estados Unidos y el Ministerio de Minas y Energía en Colombia, la pratique illicite d’extraction d’or a augmenté de 6,4 % entre 2018 et 2019. Non seulement ce type de projet minier affecte considérablement le paysage environnemental de la Sierra Nevada de Santa Marta mais le risque de contamination des eaux des fleuves est également bien présent.
Un climat sous haute tension
Ce nouvel épisode met en lumière un contexte très tendu, tiraillé entre les logiques de préservation de la nature et du patrimoine et le développement touristique et économique. Un climat emprunté de beaucoup de violence et de peur. Plusieurs témoins confirment la présence de groupes armés dans la zone. Et gare à celui qui dénonce ! Fin avril 2020, le leader social Alejandro Llinas Suarez (71 ans) fut retrouvé assassiné aux alentours de son domicile.
Llinas était connu pour être un fervent défenseur des droits environnementaux et sociaux dans la Sierra Nevada de Santa Marta. Natif de Medellin, cela faisait 7 ans qu’il vivait dans une finca au cœur des montagnes, en compagnie d’une famille indigène. Fin février, l’activiste avait dénoncé publiquement dans une interview au journal SEMANA la présence de plusieurs groupes armés d’extrême droite extorquant certains touristes de passage dans le Parc Tayrona. « Ils installent des sortes de billetteries de façon illégale. Si quelqu’un passe par là, comme un touriste par exemple, ils leur demandent de l’argent. » racontait-il alors. Selon Llinas, les délinquants se feraient passer pour des surveillants du parc afin d’escroquer les touristes. Mais le leader social va plus loin encore. D’après lui, il est évident que ces extorsions sont commises avec la complicité des autorités, comme la Police, l’Armée, la gouvernance de Magdalena et la mairie de Santa Marta.
Quelques jours après cette interview, le leader social commença à recevoir plusieurs appels hauts placés lui intimant de garder ses revendications sous silence. Fin avril, il fut assassiné sous les balles de forces armées illégales.
Mafia du tourisme
Le témoignage d’Alejandro Llinas Suarez vient corroborer d’autres dénonciations des autorités indigènes sur la possible présence de groupes armés au cœur de la Sierra Nevada de Santa Marta. En plus des activités de narcotraffic, les groupes armés de la zone semblent profiter directement de la popularité touristique des lieux, en extorquant les visiteurs donc, mais également en proposant d’amener illégalement les touristes vers des zones protégées de la réserve, en échange d’argent.
Cette réalité vient quelque peu ébranler le slogan « le tourisme comme vecteur de la paix » scandé fièrement par les autorités depuis quelques années. Dans la deuxième moitié des années 2000, de nombreux paramilitaires du nord de la Sierra Nevada ont déposé les armes et cessé leur activité illicite pour se consacrer pleinement au tourisme. Guides, mototaxi, porteurs, hôtelier, … Les possibilités économiques se multiplient pour les habitants de la région, notamment pour ceux vivant aux alentours du sentier menant à la très populaire Ciudad Perdida. La région est très vite érigée en exemple dans le chemin vers la paix. Mais le processus de démobilisation a ses limites, et les nombreux succès rencontrés n’empêchent pas la présence de quelques groupes paramilitaires profitant du tourisme pour multiplier les rentrées d’argent.
La dépossession graduelle des terres indigènes
La montée en puissance du tourisme a également transformé la notion de propriété. Dans un article scientifique publié en 2016, l’universitaire Diana Ojeda analyse le cas du parc Tayrona et comment celui-ci fut petit à petit dépossédé des populations locales au profit d’une entreprise privée à but touristique. « La mise en place récente des politiques de conservation néolibérales centrées sur le développement de l’(éco)tourisme donne lieu à des paysages de dépossession non pas à cause de l’accaparement [des terres] associée à la violence paramilitaire mais à cause de la négation quotidienne des ressources [1]», explique-t-elle. Une confiscation indirecte et une violence insidieuse qui a mené petit à petit à la révolte des populations indigènes, revendiquant leur droit à la parole dans le processus de décision.
Des revendications qui n’ont pas été veines puisqu’aujourd’hui, les leaders indigènes siègent officiellement en tant que partenaire pour statuer sur les éventuels aménagements de leurs terres.
Et après ?
La découverte de possible travaux à des fins touristiques serait alors un canif dans le contrat passé entre les autorités et les tribus indigènes. Suite au communiqué de l’Organización indígena Gonawindua Tayrona, la Corpoguajira (la plus haute autorité environnementale du département de la Guajira) a entamé des visites sur les lieux afin de réunir suffisamment de preuves contre la réalisation de ces travaux illégaux. Par ces dénonciations, les peuples indigènes souhaitent faire passer un message à la population : « On continue à nous assassiner, pas seulement avec les armes, mais également avec la discrimination, le racisme et la méconnaissance. (…) Nous demandons que l’on nous permette de continuer à chanter, de continuer à danser, que l’on nous laisse mourir vieux sur nos terres, dans nos forêts, dans nos montagnes. » clame le leader indigène Óscar Montero de la Rosa au journal La Libertad.
Si nous abordons ce sujet sur notre site aujourd’hui, c’est qu’il nous a semblé important, en tant qu’agence locale écotouristique, d’éveiller les consciences et de rappeler les ravages que peut avoir le tourisme de masse sur les populations locales et l’environnement naturel. Nous nous efforçons de proposer un tourisme plus responsable, qui respecte les communautés et leur enjeux, qu’ils soient culturels ou environnementaux.
*Source :
https://diariolalibertad.com/sitio/2020/05/15/los-indigenas-de-la-sierra-nevada-pedimos-que-no-nos-sigan-matando-oscar-montero/
https://sostenibilidad.semana.com/impacto/articulo/indigenas-kogui-denuncian-destruccion-de-sus-espacios-sagrados/51071
https://www.banrep.gov.co/docum/Lectura_finanzas/pdf/dtser_253.pdf
https://www.elheraldo.co/la-guajira/indigenas-denuncian-intervencion-en-sitios-sagrados-de-la-sierra-nevada-en-la-guajira
https://www.tuuputchika.com/2020/05/19/organizacion-gonawindua-tayrona-denuncia-destruccion-de-sitios-sagrados/
https://www.lafm.com.co/colombia/sos-situacion-es-muy-grave-en-la-sierra-nevada-de-santa-marta
https://journals.openedition.org/viatourism/3637
[1]Propos repris de l’article « Les défis du tourisme face à la construction de la paix en Colombie » de Marie-Laure Guilland et Patrick Naef.
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